Histoire des moulins: résumé

La mouture du blé par les moulins à eau résulte de la rencontre entre l’invention de la meule tournante inventée entre -250/-200 avant JC et de la roue à augets utilisée en premier lieu pour l’irrigation dans le croissant fertile avant de se répandre dans tout le moyen orient.

La première mention historique d’un moulin à eau remonte ainsi à l’an -30 avant JC lorsqu’une épigramme du poète Antipaster de Thessalonique fait explicitement allusion à un moulin à eau utilisé pour la mouture des céréales : « Ne mettez plus la main au moulin, ô femmes qui tournez la meule! Dormez longuement, quoique le chant du coq annonce l’aurore ; car Cérès a chargé les nymphes des travaux qui occupaient vos bras. Celles-ci s’élancent sur la sommité d’une roue, font tourner son axe, qui, au moyen de rayons mobiles, met en mouvement la pesanteur de quatre meules concaves. Nous goûtons de nouveau la vie des premiers hommes, puisque nous apprenons à nous nourrir sans fatigue des produits de Cérès. »

En -18 avant JC, Strabon rapporte également la présence d’un moulin à eau dans le palais de Mithridate à Cabire dans le pont (actuelle Asie mineure en Turquie actuelle). Par la suite, Pline et Vitruve (1er siècle après JC) rapportent la présence de moulins sur les rivières du territoire de Rome et décrivent en détail ces installations.

L’invention de la transmission de la force par des roues à palettes (ancêtres des engrenages) et l’invention de la transmission par cames datent du 1er siècle après JC. L’invention de la roue à palettes permet la transmission d’un mouvement horizontal vers un mouvement vertical ; il est ainsi devenu possible de relier des roues verticales (donc à axe horizontal) à des meules dont l’axe de rotation est vertical. L’invention de la transmission par cames permet l’utilisation de pilons. Ces découvertes fournirent les éléments techniques indispensables permettant d’assurer l’essor ultérieur du moulin à eau.

Les fondamentaux de la technologie ainsi assurés, il restait ensuite à ce que cette découverte soit progressivement améliorée pour qu’elle devienne économiquement rentable pour se diffuser largement. Cela sera l’histoire des siècles suivants au cours desquels la roue hydraulique fut le seul moteur industriel avant l’invention de la machine à vapeur.

L’application de ces techniques fut ensuite utilisée pour toutes les opérations requérant un broyage, un pilonnage, un malaxage, etc. L’emploi s’en diffusa pour les céréales, le malt, le pastel, le tan (écorce de bois destinées au tannage), des olives, de graines diverses, les textiles, l’industrie du fer, etc. Le moulin à eau fut donc l’élément clé qui permit l’essor industriel avant la révolution de l’emploi du charbon de terre au 18ème siècle.

Pour ce qui concerne le travail des céréales, l’essor de cette nouvelle technologie fut probablement assez lent car les premières versions de ce type d’installation étaient certainement coûteuses. De plus la société romaine de l’époque républicaine et du début de l’empire disposait en quantité d’esclaves et de chevaux aptes à faire tourner les meules et surtout nettement moins chers que les moulins à eau. La quantité de grains à moudre et l’organisation sociale ne justifiait pas non plus l’installation à grande échelle de moulins.

L’évolution de l’empire avec la réduction de la main d’œuvre disponible suite à la crise démographique du 3ème et 4ème siècle et la modification de l’organisation économique avec le recours de plus en plus massif à des blés importés pour la nourriture de la ville de Rome modifia probablement la donne favorisant la mise en place de moulins à eau.

Les données historiques montrent ensuite une progression lente mais continue de la diffusion du moulin à eau pour la mouture du blé. On constate alors une lente et progressive extension de cette technologie. Un moulin à eau est rapporté sur la Moselle au 3ème siècle. La diffusion de cette technologie en Germanie justifie la rédaction de plusieurs lois au début du 7ème  siècle. La fondation de Mulhouse (Mulhausen, la maison du moulin en allemand) date également de cette période. La diffusion des moulins à eau se poursuivit progressivement dans le reste de l’Europe. Les premières traces connues en Grande Bretagne et en Irlande datent du 9ème et 10ème siècle. Les premiers moulins du nord de l’Allemagne et de Scandinavie dateraient du 11ème ou 12ème siècle. Le moulin à eau poursuivit ensuite son essor pour devenir au fil des siècles un élément majeur du territoire européen.

Les principaux facteurs limitant l’expansion des moulins à eau furent l’absence de cours d’eau capables de fournir la force motrice nécessaire et les investissements requis pour l’établissement du moulin.

Pendant très longtemps les moulins à sang (traction animale ou humaine) furent les seuls à équiper les zones dépourvues de rivières adaptées. Il fallut attendre l’essor des techniques et les 12ème et 13ème siècles pour que le moulin à vent – probablement ramené de Palestine par les croisés – commence à équiper les zones propices à ces installations.

Les frais relatifs à l’installation et au fonctionnement d’un moulin à eau obligeaient les exploitants à une production importante pour justifier les coûts d’équipements des cours d’eau ou l’installation d’étangs utilisés comme réserve d’eau auxquels il fallait ajouter les coûts de la machinerie et de l’entretien des installations. Le volume de grains requis pour obtenir un prix compétitif était compatible avec les besoins de populations importantes mais excluait de fait les petites communautés rurales isolées. Les seigneurs et les communautés religieuses furent – avec certaines communautés urbaines indépendantes – les seuls à avoir la capacité d’organiser l’approvisionnement de masses importantes de populations. Une des conséquences en fut leur prise de contrôle des moulins à eau. Les avantages ainsi acquis furent très peu remis en cause jusqu’à la révolution française.

L’essor des moulins conduisit également à une réorganisation des métiers du travail du grain. Au début de l’empire romain, la mouture du blé – effectuée à l’aide de meules à main – et la fabrication du pain sont réalisés par la corporation des pistor (Broyeurs). L’essor des moulins à eau conduisit à une séparation nette des métiers liés à la mouture du grain et de la fabrication du pain. La corporation des meuniers apparait ainsi pour la première fois en 448 à Rome.

La convergence d’intérêt des propriétaires de moulins (seigneurs et communautés religieuses) et la maitrise technique requise pour la conduite des moulins conduisirent rapidement à l’apparition de puissantes corporations de meuniers qui veillaient à maintenir leurs pouvoirs sur la filière. L’interdiction des meules à mains qui étaient encore utilisées fréquemment au 10ème siècle mais qui menaçaient le monopole fut un moyen parmi d’autres de contrôler plus intensément le marché pour le bénéfice de ses acteurs.

Les avantages apparents ou réels associés au métier de meuniers engendrèrent souvent des jugements et rancœurs tenaces de la part du reste de la population. Il n’en est pour s’en convaincre qu’à voir certains cahiers de doléances de 1789. Le proverbe alsacien suivant est tout aussi explicite : « Pourquoi les cigognes ne nichent elles pas sur les moulins ? C’est parce qu’elles ont peur que le meunier ne volent leurs œufs.»

La suppression de l’ancienne organisation à la révolution française supprima les freins à l’installation de nouveaux moulins. Le 19ème siècle connu un essor très important du nombre de moulins à eau avec pour corollaire un aménagement important des rivières.

L’organisation rurale qui perdura jusqu’au début du 20ème siècle et le développement encore limité de la science et de la technologie meunière a permis le maintien de l’organisation précédente pendant plus de 100 ans. Dans la plupart des cas, les zones de chalandises des moulins sont restées pendant longtemps limitées à des périmètres restreints car la qualité des farines et l’organisation des marchés ne permettaient pas la transporter sur de longues distances. Les meuneries industrielles organisées en sociétés capitalistiques étaient encore en faible nombre et centrées sur de grands centres urbains ou à l’export et ne généraient pas encore de concurrence insupportable pour les moulins à eau et leurs diverses activités. Il en était souvent de même pour les autres activités des moulins à eau dont la production trouvait encore à s’écouler sur le marché local.

Les années postérieures à la guerre de 14-18 et surtout la période post 2nde guerre mondiale furent toutes autres. Les différentes crises et la mise en place d’une nouvelle société industrielle conduisit à l’obsolescence de nombreux moulins à eaux qui n’étaient plus rentables ou qui ne surent ou ne purent pas s’adapter pour se maintenir en activité.

De nombreux sites furent alors abandonnés et retournent doucement au néant en laissant de place en place des vestiges de leurs activités passées. D’autres ont été reconvertis en logements avec l’arrivée de nouveaux occupants ayant peu ou pas d’expérience de la gestion des installations hydrauliques. Certains sites profitent de la force hydraulique pour la production d’électricité verte ou des productions « éco responsables » .

Pour tous, ce changement de paradigme conduisant à passer d’une logique industrielle centrée sur la production de biens ou de nourriture vers une nouvelle logique économique n’est pas toujours simple à résoudre car les frais de reconversion peuvent être élevés. De plus, la société du 21ème siècle est de plus en plus axée sur la gestion durable de la nature et en particulier – pour ce qui concerne le monde des moulins à eaux – sur la renaturalisation des cours d’eau et le reformatage des biefs pour supprimer les diverses entraves à l’écoulement des eaux générées par l’équipement des sites. Les défis et les interrogations liées à cette évolution du monde des moulins à eaux sont majeurs pour les amoureux de ce patrimoine.

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